Dans les premières décennies du protectorat, la France gère l’exil de deux anciens sultans du Maroc : celui d’Abdelhafid, qui après avoir signé le traité de Fès en 1912 est poussé à l’abdication, et celui de son frère Abdelaziz qu’il avait déposé quatre ans plus tôt. Leur exil est encadré et contractualisé. En échange de leur départ du trône, les deux hommes profitent de privilèges qui adoucissent leur exil. Mais ces clauses induisent un dilemme pour l’exilé : doit-il tenter de revenir dans le jeu, au risque de perdre ses avantages ? Les archives diplomatiques françaises, qui conservent une correspondance fournie entre les anciens sultans et les autorités coloniales, permettent de reconstituer précisément leur capacité d’action et leurs choix respectifs. Si Abdelaziz choisit la discrétion, Abdelhafid tente de s’extraire de son exil, notamment pendant la Première Guerre mondiale. Il évolue alors entre le Maroc, les Français, les Espagnols, les Allemands et les Ottomans. Son échec le contraint à un exil plus restrictif aux mains des Français, encouragé par ses successeurs sur le trône. Le parcours de ces deux anciens sultans permet de montrer que l’exil revient à expulser un homme d’un territoire, mais aussi à l’exclure d’un système politique et juridique. L’exceptionnalité de leur statut personnel autant que ses fluctuations caractérisent leur errance transimpériale.